Journal de voyage de sœur Marie Timothée (Irma Poulhès) de Lyon à Futuna en Océanie(à gauche sur la photo)

Du 20 octobre au 23 Novembre 1909

20 octobre 1909 :

C'est pour la gloire de Dieu et le Salut des âmes que je dis Adieu pour toujours à ma patrie, à mon cher noviciat, à mes bons supérieurs, à vous tous mes bien aimés parents et c'est pour essayer de satisfaire votre désir que je vous donne sommairement quelques petites connaissances de ma traversée...
Nous quittons le Noviciat hier, les 6 petites voyageuses accompagné du TRPère Supérieur Général, de notre bonne Mère et de sœur Marie Joseph après avoir entendu la messe et communié dans notre humble petite chapelle où pendant 3 ans, Jésus m'a comblé de grâce et de bénédiction...
Nous montons à ND de la Garde pour assister une dernière fois à la messe... Après le déjeuner, il faut partir, mais où ? au bateau, à la guerre à la souffrance, à l'immolation, au martyre, peut-être martyre du corps et sûrement au martyre du cœur, mais je suis bien avertie et je l'accepte...
Sur la jetée, nous voyons encore nos 4 vénérés et chers compagnons de voyage, nous sommes courageuses, nous voulons être vaillantes...
Le bateau part, nous descendons à la salle à manger car le repas est servi, il ne faut plus penser qu'au présent, et ainsi mettre a profit la méditation de ce matin.
On mange et goûtons les 7 ou 8 plats du repas...
Nos cabines sont choisies et nos malles y sont, il ne nous reste plus qu'à nous installer, une cabine est occupée par les sœurs qui vont en Samoa et une pour les 3 fidjiennes et moi. Nous sommes donc 4 et y sommes très bien. Rien n'y manque : lits, portemanteaux, eau, cuvette...Nous y sommes aussi bien qu'un roi dans son palais. Il y fait un peu chaud et à ce sujet nous avons bien ri après une remarque de notre chère infirmière : "il faut que je soigne ma supérieure, moi, elle est très malade, elle pleure par le front.." C'était bien sûr de grosses gouttes de sueur préférables à des engelures. Nous faisons nos exercices de piété sur le pont soit en commun soit en particulier car il y fait bon, nous restons dans la cabine le moins de temps possible. Nous soupons à 6h. Le repas est aussi abondant que le midi...Après le repas, nous prenons 1 heure de récréation sur le pont à la lumière, puis nous nous égayons quelques temps, nous faisons ensuite les prières et allons prendre le repos.
Tout le monde dort bien. Personne ne souffre du mal de mer, ce qui fait la désolation de notre infirmière qui ne demande que du travail.
Jeudi 21 octobre.
Tout le monde est en bonne santé, la mer est toujours calme. Nous faisons connaissance avec les autres passagers qui sont tous très polis et très gracieux. Pour notre malheur pas de prêtre, donc pas de messe.
Nous sommes 200 passagers et 130 employés ou officiers. C'est donc une grande maison. Personne n'y manque de rien que ce soit dans les cabines, dans les salles à manger, sur le pont. Aujourd'hui, il y a un petit peu d'air bien agréable. Nous sommes toujours occupées, lire, écrire, coudre, prier...
Nous dînons vers 10h jusqu'à nouvel ordre et soupons à 6 heures. Nous voyons un beau soleil, beau ciel bleu et la mer...
Vendredi 22 octobre.
Dès le réveil, après les prières, mes pensées se portent à mon pays la France que j'ai quitté pour travailler pour Jésus. De bonne heure, nous montons sur le pont où le temps est très beau. Vers 7h, nous voyons Messine, que de ruines, c'est épouvantable et je demande à Dieu de protéger le Monde de tous les dangers, des révoltes contre lui. Dans la journée, il pleut presque tout le temps et très fort. Aussi, je ne peux pas écrire facilement sur le pont. La mer est calme, personne n'a le mal de mer mais le bateau ne marche pas vite.
Samedi 23 octobre.
Rien d'extraordinaire aujourd'hui, le matin la mer est calme mais s'agite vers midi. Pas de malade à bord mais nous ne sommes qu'au début du voyage, la Méditerranée a la réputation de faire souffrir. Ce soir, le bateau bouge davantage, il est dificile d'écrire.
Dimanche 24 octobre .
Nous balançons passablement à la salle à manger, aussi nous mangeons rapidement pour remonter sur le pont. En plein air, nous sommes mieux pour lire, écrire, dormir. Nous sommes bien bercés...mais ce n'est pas l'heure de nous endormir.
Lundi 25 octobre.
Nous sommes arrivés à Port Saïd à 2 heures du matin.
Les arabes ont fait beaucoup de vacarme à côté du bateau, ensuite le calme est revenu et nous avons continué à dormir jusqu'à 6 heures. Montées sur le pont, nous avons vu toutes ces personnes. Ils sont très mal habillés mais assez couverts. Pour eux, pouvu que la tête soit couverte en temps de pluie, peu importe le reste. Leur coiffure est une pièce d'étoffe plus ou moins propre, plus ou moins neuve, enroulée autour de leur tête, parfois une partie tombe dans le dos.
Ils chargent notre bateau de charbon, ils portent des poids énormes dans un sac fait de joncs. Ils marchent sur une planche placée entre 2 bateaux. Quand le travail est terminé, ils s'amusent à nous contempler, nous font signe de leur jeter des sous dans la mer, qu'ils se chargent de ramasser. L'un d'eux me regarde avec insistance, me dit une longue phrase et me tend un chapeau. Un moment après plusieurs arabes s'approchent, s'agenouillent, se prosternent comme les religieux les plus fervents en France pendant le Chemin de Croix. Comme le bateau repartait, une barque avec un musicien et une femme qui tient un parapluie ouvert approche et contourne le bateau, il demande des sous...nous quittons port Saïd, nous apercevons un tramway sur des rails traîné par un cheval misérable. Notre mère a du attendre ici même un bateau car elle a été rappelé alors qu'elle croyait aller évangéliser la Nouvelle Calédonie.
C'est 9 heures, le temps est beau, nous voyageons tranquillement dans le canal de Suez. nous apercevons de part et d'autre le désert où quelques chameaux piétinent comme chez nous les chevaux dans la neige.
Mardi 26 octobre.
Nous avons passé Suez à 2 heures du matin et nous voguons maintenant sur la Mer Rouge. Il fait moins chaud, le temps est couvert.
Nous voyons maintenant de part et d'autre d'immenses montagnes très belles.50 passagers sont descendus hier, et 2 sœurs de la congrégation de ND de Sion sont montées, elles vont à Sydney. Elles ont une cabine près de la notre, prennent leur repas près de nous , nous partageons les moments de récréation, elles parlent anglais et français.
Partout dans le monde, on peut se tirer d'affaire avec la langue anglaise. Sur le bateau, tout le monde connaît l'anglais.
Je viens de voir le Mont Sinaï, nous sommes très près de Jérusalem...je pense à tous les événements qui se sont passées dans ces contrées.
Mercredi 27 octobre.
Nous ne voyons que le ciel et l'eau, de temps en temps quelques navires et quelques phares, la mer Rouge est couleur d'azur, toutes les laveuses de France ne devraient plus passer le linge au bleu mais venir le plonger dans la Mer Rouge, elles n'auraient plus à souffler sur leur doigts pour les réchauffer comme au bord du ruisseau. En France, vous cherchez peut-être un abri, un peu de chaleur, ici nous avons très chaud, nous "pleurons" par le front, les gouttes tombent abondamment sur le mouchoir.
Il fait chaud mais nous sommes bien portantes et occupées. Hier soir après souper, la bise soufflait sur le pont tout le monde était gai et même très gai. Quelle ne fût pas ma surprise, d'entendre chanter du côté des 3ème, des jeunes gens chanter et jouer admirablement la chanson : "Montagnes, Pyrénées, vous êtes mes amours". Je ne peut m'empêcher de transporter mon esprit du côté de ces contrées où je l'ai entendue si souvent et que je ne reverrai jamais plus...
Jeudi 28 octobre
L'air de la Mer rouge n'est pas plus froid que d'habitude, pendant le dîner, il fait un belle averse. Tous les passagers se sont levés de table pour voir tomber la pluie, nous ne nous sommes pas dérangés de table...Heureusement, mes supérieurs m'ont enseigné un peu l'anglais, à table il est bien rare d'entendre un mot de français et ce n'est guère agréable de ne pouvoir comprendre et de ne pouvoir se parler. Il y a un officier qui vient souvent prendre ses repas à la salle à manger afin de constater si les passagers se comportent bien. L'un des passagers, ne comprend pas l'anglais mais aime beaucoup parler . Au milieu du repas, je le vois quitter la table : "il est fatigué" ai-je pensé, mais quelques minutes après, il revient avec un gros débonnaire anglais français pour essayer de se mêler à la conversation de ses voisins. Mes chères sœurs du noviciat, apprenez l'anglais tant que vous en avez l'occasion et le temps, n'attendez pas d'être sur le bateau.
Vendredi 29 octobre
. Le vent est assez violent et nous avançons rapidement car nous faisons en moyenne 15 km à l'heure. Personne n'a eu le mal de mer, mais hier au souper, 2 sœurs, Sabine et Marie Estelle ont du quitter la table à 3 reprises, la mer était vraiment très mauvaise, nous balancions beaucoup. Après le repas, les 2 sœurs vont mieux mais nous allons vite prendre notre repos
Samedi 30 octobre .
Nos espérances sont réalisées. Nous sommes arrivées à Aden vers 9 heures. accompagnées des 2 sœurs de Notre Dame de Sion, nous avons pris une petites barque pour nous conduire au rivage. A 6 heures et demi, nous avons entendu une messe et pu communier. Après, nous sommes allées voir les sœurs franciscaines qui malgré leur pauvreté nous ont réservé un accueil des plus bienveillant, et nous ont bien rafraîchies. A 9 heures, nous sommes rentrées très contentes de notre promenade à terre.
La ville d'Aden est très pauvre, on n'y voit que d'immenses rochers et du sable. Quelques chameaux, cinq ou six arbres et pas un brin d'herbe. Nous nous demandons de quoi peuvent vivre les gens. La plupart des habitants sont noirs, il y a quelques blancs. Le bateau est reparti vers 1 heure. Aujourd'hui, il fait un peu moins chaud qu'hier, mais la nuit a été très très chaude... Dimanche 31 octobre.Le bateau balance pas mal, il y a beaucoup d'air et la température est seulement à 28°C. Nous avons fait une longue et agréable récréation avec les 2 sœurs de Sion, nous avons regardé 200 cartes de Jérusalem car elles y sont fait un pèlerinage de 3 semaines et 3 jours. Quelle chance pour elle, que ce pèlerinage!
Toussaint 1er novembre.
Nous avons mal dormi cette nuit. Le bateau s'est arrêté vers 10heures et n'est reparti que vers les 3 heures. Les Indiens qui font le service sur le bateau sont entrain de réparer un engrenage très endommagé. Il n'y avait pas de danger mais ils ont l'habitude de crier si fort quand ils font quelques choses ensemble que du fait que nous ne comprenons pas la langue, il nous semble que tout est perdu. Aussi un officier qui vient de passer à nos côtés nous a bien prévenu :
voudraient -ils lever seulement une chaise à 2 que ce serait accompagné de cris épouvantables mais quand l'incident est très sérieux, qu'il mérite plus d'attention, personne ne dit rien. Donc, nous nous en tenons à ces paroles et sommes rassurées malgré les cris et les voix perçantes continuellement à nous donner mal à la tête.
Mardi 2 novembre .
La mer est un peu agitée cette nuit, mais personne n'a le mal de mer. Vraiment la traversée se passe dans de bonnes conditions pour nous. Nous chantons toutes ensemble bien à l'unisson la messe du jour qui est celle "des morts". Nous rejoignons par la pensée les sœurs du noviciat et nos parents de France, nous sommes par l'esprit sur les tombes vénérées et nous rappelons les meilleurs souvenirs de tous ces êtres chers. "Je ne vous verrai plus ici-bas, ni même la terre qui recouvre vos cendres!...Après la séparation, après la douleur viendront le bonheur, l'union, le repos éternel. Aussi je ne veux rien négliger pendant ce jour pour gagner toutes les indulgences possibles afin de remplacer la fervente communion, le saint sacrifice de la messe et les nombreuses visites que je ferai à la paroisse si j'étais au noviciat.
Mercredi 3 novembre .
Nous avons un roulis mouvementé et quand nous pensons avancer bien droit, nous faisons en fait de grands zig-zag. Bien que nous soyons à jeun, on croirait avoir bu un bon litre de vin blanc. Nous en rions beaucoup et nous en amusons bien. Si nous étions seule à voyager, cela serait bien monotone à bord. mais notre groupe de huit est au contraire bien gai. Les 2 sœurs de Sion sont de nature très gaie et la tristesse et la mélancolie ne prend jamais place. Je ne m'attendais pas à une telle ambiance. Ce qui me surprend le plus, c'est qu'à table, rien ne se renverse. J'ai toujours la main prête à retenir une bouteille qui semblent prête à rouler, mais non elles restent toujours debout... Nous nous adressons entre passagers quelques petits saluts, personne ne semble avoir le mal de mer.
Jeudi 4 novembre.
La mer n'est pas mauvaise et il ne fait pas trop chaud. Nous arrivons à Bombay vers 5 heures du soir. La plupart des passagers descendent, il reste seulement une dizaine de personnes en 1ère et 13 en 2ème alors qu'il y avait 4 tables de 14 pleines avant l'escale. Il ne reste plus qu'une table et nous avons maintenant 2 garçons d'hôtel pour nous servir au lieu d'un. Nous disposons aussi d'une cabine supplémentaire 3 au lieu de 2, nous pouvons nous installer plus confortablement. Les barques de Bombay sont guidées par des indigènes qui font beaucoup de bruit. A Bombay, beaucoup de marchandises sont déchargées et d'autres chargées. Il y a toutes sortes de personnes qui circulent et le garçon d'hôtel a jugé plus prudent de fermer nos cabines a clef lorsque nous sommes sur le pont.
Vendredi 5 novembre .
Nous sommes arrêtés à 2 km du rivage, comme nous ne pouvons prendre un petit bateau à vapeur de la compagnie qu'à 8 heures et demie, nous hésitons à nous embarquer sur une de ces petites barques guidée par un indien, craignons de ne pas avoir la messe et de ne pas rentrer à temps pour le repas de midi à 10h. Nous restons donc à bord et nous contentons de regarder les indiens transporter les marchandises et crier à qui pourra le plus. Ils parlent bien sûr l'indien et nous ne comprenons rien. Des douaniers très polis nous ont parlé longuement. Ils sont blancs et parlent anglais comme la plupart des habitants de Bombay.
Midi et soir, nous sommes surpris de voir des mets maigres préparés pour nous huit. Loin de France, on trouve des braves gens partout. Le soir comme je transportais ma chaise d'un lieu à un autre pour éviter le soleil, je vois que j'ai raison de le faire car le thermomètre marque 36°C. Sur la mer Rouge, nous n'avions pas atteint cette température.
Samedi 6 novembre. Nous ne pouvons encore descendre et nous sommes toujours en face de Bombay. Nous sommes toujours bien gaies, bien portantes, mais nous n'avançons pas. Il fait moins chaud qu'hier.
Dimanche 7 novembre .
Nous pensions quitter le bateau pour aller à la messe, mais le commandant vient nous annoncer que la visite du médecin est prévue à 9h et demie. Nous ne pourrons pas descendre. Cette visite est obligatoire et exigé pour arriver à Colombo. A midi, comme tous les passagers, nous sommes appelées dans les salons de 1ère classe y compris les employés, du boulanger au petit mousse qui lave le pont. Cette procession est intéressante à voir... Nous passons les premières devant une femme médecin qui nous prend le pouls, nous examine d'un simple coup d'œil et c'est tout. A 2heures, nous quittons Bombay sans le moindre regret. En nous éloignant, nous apercevons de belles montagnes, d'immenses rochers...Ces paysages sont très beau à voir.
Lundi 8 novembre .
Nous voguons rapidement sur la mer
d'Arabie, la mer est calme, personne n'est malade. Aussi, nous en profitions pour prendre une leçons d'anglais qu'une mère de Sion a bien voulue nous donner. Hier, nous avons fait une dictée, aujourd'hui, c'est l'arithmétique. Je n'ai jamais le premier prix mais je suis très contente et très reconnaissante de son admirable patience et de sa grande bonté.
Mardi 9 novembre .
La mer est assez mauvaise, ce matin, nous avons le tangage bien plus fatigant que le roulis. Mais je ne veux pas cependant nous donner à croire que j'ai le mal de mer. Oh! je suis trop égoïste pour donner à manger aux poissons et je veux toujours tout garder pour moi. Nous voyons la terre par moments et c'est parce que nous sommes près des côtes que la mer est mauvaise. Nous nous faisons du bon sang car nous avançons rapidement et pensons arriver à Colombo vers 1 heure du matin. Là, nous y séjournerons un jour pour faire provision de charbon. Courge, nous sommes presque à la moitié du voyage et quatre d'entre nous n'ont jamais eu le mal de mer.
Vendredi 12 novembre .
Voici que j'ai fait la paresseuse pendant 2 jours et aujourd'hui, je dois me rattraper. Nous sommes arrivés à Colombo dans la nuit du mardi au mercredi. Nous avons pu descendre à terre vers les 9 heures, ce qui nous fait grand plaisir. La mer a été très mauvaise. Hier, nous sommes allées chez les petites sœurs des pauvres. Elles nous ont reçu à bras ouverts et nous ont offert un gracieux dîner. Elles nous ont fait visiter leur très grande maison. Elles accueillent beaucoup de personnes âgées. Nous avons remarqué la plus grande propreté dans les appartements et surtout à la chapelle où se faisait le grand nettoyage. Pour cela, une femme montait en haut d'une échelle de 50 mètres de haut pour essuyer la voûte. Et puis quel bonheur pour nous de voir le tabernacle abritant Jésus. Je constate maintenant le bon temps du noviciat où je pourrais le voir à chaque instant. Nous pouvons aussi nous confesser et lire les lettres de notre mère et du noviciat. Oh! lettres de France, que vous êtes bien reçus. La petite ville de Colombo est très belle. Beaucoup de gens sont catholiques, il y a quelques familles bouddhistes. La végétation est abondante, beaucoup d'arbres fruitiers, bananiers, cocotiers. Les voitures sont parfois tirées par des petites chevaux ou par un attelage de 1 ou 2 bœufs. Le conducteur se place à côté du timon entre la voiture et l'animal. Autour de la ville, il y a de grandes prairies très vertes en ce moment bien que ce soit la saison d'hiver. De temps en temps, il y a quelques averses. En dehors de ce temps, il ne serait pas prudent de traverser le quai sans une ombrelle. Vous pouvez donc imaginer la canicule!...A cinq heures , nous remontons sur la calouche, petit bateau qui nous conduit à L'Australien. Nous sommes très contentes de notre journée de repos et nous nous sommes armées de courage pour recommencer notre balancement et notre vie à bord. A Colombo sont arrivées 2 sœurs du Bon Pasteur par le Tonkin bateau qui nous a aussi apporté les lettres du Noviciat. Elles vont à Fremandle. Nous aurons donc la joie d'être à côté d'elles à table une dizaine de jours. Nous n'avons pas de prêtre et je crois que vraiment il nous faut en faire le sacrifice jusqu'au bout. Hier jeudi, la mer a été très mauvaise. Beaucoup de passagers et d'employés avaient le mal de mer. Les 2 sœurs de Samoa n'ont pas éprouvé le moindre malaise mais les 3 fidjiennes ont bien donné aux poissons...elles sont bien fatiguées.
Nous étions sur le pont à regarder la mer si houleuse lorsqu'il nous arrive une ondée sur la figure qui n'est pas ordinaire, nous nous hâtons de descendre pour nous changer mais dans notre cabine, il y a eu déjà 2 inondations. On a déjà changé nos draps 2 fois et nous marchons dans l'eau jusqu'à la cheville. Un telle moment suffit pour nous faire passer le mal de mer. Aussi à souper, il ne nous arrive pas d'autres incidents fâcheux. Nous avons le tangage et le roulis à la fois, on ne peut pas dire que nous dansons ou que nous marchons de travers mais que nous roulons. La personne chargée d'avertir ses sœurs pour descendre à la salle à manger n'avait pas besoin de dire de prendre les rangs mais de prendre la rampe. Après un tel récit, je pense vous laisser, chers parents et chères sœurs bien convaincus que je n'ai pas le mal de mer. Non je ne l'ai pas. Aujourd'hui, nous avons le roulis bien moins fatiguant que le tangage, les sœurs sont moins fatiguées. Un officier nous a prévenu que nous passerions la ligne ce soir, je pense vous dire demain l'effet que cela procure.
Samedi 13 novembre .
Nous avons passé la ligne cette nuit, dans notre groupe, personne n'a constaté le moindre changement mais Sœur Marie Vincent de Paul qui n'avait eu que du dégoût pour l'anglais, se trouve soudainement à l'aimer d'une façon particulière et ne cesse d'écouter les anglais et d'essayer de retenir quelques mots pour ajouter à sa science. Elle est charmante et nous amuse beaucoup.
Dimanche 14 novembre .
Dédicace des églises.
Nous n'oublions pas que c'est aujourd'hui fête de 1ère classe et nous tâchons de remplacer la messe et la bénédiction en faisant de notre mieux nos exercices de piété. La mer est calme, toute le monde est en pleine forme. Nous avons toujours quelques petites ondées qui nous dérangent bien souvent de notre travail. Le temps ne nous demande pas notre avis...
Sur l'océan indien ce n'est pas la même chaleur que sur la mer Rouge, nous ne souffrons pas de la canicule. Ce matin, dès 9 heures, nous aurions pu voir la croix du Sud mais à ce moment-là j'avais d'autres occupations.
Lundi 15 novembre
. La mer est mauvaise et une des sœurs n'a pas encore le pied marin. Nous tachons de la distraire le plus possible. Elle n'a pas de chance, elle n'a eu que très peu de jours en bonne santé sur le bateau. Il fait toujours de bonnes ondées, cela ralentit la vitesse du bateau et les mouvements de tangage.
Mardi 16 novembre .
Je tiens à vous écrire tous les jours mes impressions de voyage. Hier soir sur le pont des 3èmes, nous avons entendu un chant magnifique que nous aurions bien écouté encore plus longtemps, on se serait cru au milieu d'une manifestation religieuse. C'était un chœur improvisé d'une quinzaine de soldats qui chantaientl'Ave Maria Stella" puis " Il est né le divin enfant", "Minuit Chrétien", ils ont chanté seulement le premier couplet qu'ils connaissaient de mémoire. Jésus, Marie ont sans doute béni leur bonne volonté et leur donneront la grâce d'arriver aux ports.
Mercredi 17 novembre .
La mer est très mauvaise aujourd'hui, malgré cela, nous n'avons pas le mal de mer, sauf Marie Estelle qui souffre toujours autant, et je regrette de ne pouvoir la soulager. Nous pensons arriver à Fremandle samedi soir. Les 2 sœurs du Bon Pasteur s'en inquiètent beaucoup, car elles voudraient être arrivées dimanche pour renouveler leurs vœux. Nous avons la tangage qui nous fait voler passablement. Notre bateau a 152 m de long sur 16 de large et 6 mètres de tonnage. Sa puissance est de 1000 chevaux. Ces jours-ci, nous ne faisions que 300 à 320 miles par jour, alors que d'ordinaire nous faisions 330 à 335.
Jeudi 18 novembre .
La mer est de plus en plus mauvaise.
Nous avons du roulis et du tangage à la fois, nous sommes très ballottées. Sur le pont, il est impossible de faire un pas. Pour aller à table, c'est un roulement sans fin et quand on arrive à la salle, on se dirige vers une chaise et l'on regarde où est sa place, on essaie d'y aller, mais ce n'est pas par le plus court chemin mais en zig zag. Les bouteilles, les assiettes, les verres ne tiennent sur la table que tant qu'ils sont retenus par des ficelles placées pour la circonstance.
Sœur M Estelle est toujours souffrante mais nous 5 allons bien et restons à table jusqu'à la fin du repas sans ressentir de malaise, ce n'est pas le cas pour tous les passagers.
Vendredi 19 novembre .
Il fait toujours un vent épouvantable mais nous n'avons plus la chaleur de la mer Rouge. Le thermomètre est autour de 20°C. Sur le pont, nous supportons les fichus et couvertures quand nous restons assises. Il est difficile de se déplacer sur le pont, heureusement il y a le bastingage sinon nous serions à la mer depuis longtemps, c'est très amusant de voir marcher ceux qui disent avoir le pied marin. Un officier marin nous dit que nous rencontrons une mauvaise lune pour traverser l'océan indien. Je ne souhaite pas que ce soit toujours ainsi. Même si on n'a pas le mal de mer, on ressent bien la fatigue.
Samedi 20 novembre .
La mer est toujours houleuse, nous avons régulièrement la visite importune et inattendue d'une vague en pleine figure, mon papier en porte les traces. Je compte sur votre indulgence pour m'excuser. Enfin nous comptons arriver ce soir à Fremandle. Là, nous aurons une bonne nuit de repos.
Dimanche 21 novembre .
Nous sommes arrivées à Fremandle à 10h dur soir, et comme la vierge s'est offerte au service du Seigneur, nous nous offrons au service du Seigneur sur la terre d'Océanie que nous voyons pour la première fois et où nous voulons travailler toute notre vie. Nous entrons à l'église au moment de la communion, nous hésitons à nous mêler à la foule pour cette première fois. Une des sœurs de Sion a demandé un prêtre pour notre groupe de religieuses. Après nos prières, les sœurs de St joseph de l'Apparition dont le couvent touche à l'église ont bien voulu nous recevoir et offrir un très gracieux déjeuner.
A 10 heures, nous assistons à une messe chantée en anglais, après 21 jours de mer, nous confions au Seigneur nos ennuis et craintes mais aussi nos joies et notre désir d'aller si loin pour le faire connaître. Avec lui viennent consolationset encouragements.
Après une dernière visite à la chapelle, nous retournons au bateau. La matinée passe très vite. Nous retrouvons le roulement avec confiance d'arriver au port bien gardée par notre bonne Mère l'Etoile de la mer.
La ville de Fremandle est la première ville d'Océanie d'un aspect très gracieux qui m'a fait très bonne impression. C'est très différent de Port-said et de Colombo. Les gens sont comme en France. C'est le printemps et les dames sont souvent vêtues de blanc mais de la même façon que nous. A l'église, il n'y a que des bancs, un pour s'agenouiller, un pour s'asseoir. Le peuple a une tenue très convenable et bien que la ville ne soit pas grande, 300 personnes ont communié dont au moins 50 hommes, sans doute des fervents catholiques. Ce n'est pas habituel en France. Ce soir notre groupe de religieuses est très gai, nous nous sommes reposées lors de cette courte escale et aucune n'est malade. Nous rions beaucoup et de bon cœur, unies en pensée aux sœurs du Noviciat. Nous connaissons toujours ce bonheur de progresser dans la voie qui conduit à Jésus et de voir nos désires réalisés.
Lundi 22 novembre .
A Fremandle, la population ne travaille pas le dimanche, tous les magasins sont fermés. Le chargement de charbon a commencé dès minuit, s'est terminé vers 9h, nous quittons Fremandle vers 10h et nous voilà en mer jusqu'à Adélaide que nous pensons atteindre vendredi. La mer n'est pas trop mauvaise ce soir, le commandant et les officiers nous préviennent que les roulements vont reprendre fort. Nous avons été ballottés 10 jours sur l'Océan Indien en gardant l'envie de chanter, nous supporterons bien encore 4 jours.
Mardi 23 novembre .
Réellement, nous avons été secoué cette nuit comme jamais encore et Sœur M Estelle est de plus en plus malade. Ce matin, la mer est plus calme et nous voguons rapidement sur ce vaste océan qui parait infranchissable sur une carte et que pourtant nous franchissons en nous en remettant à Dieu. Plus que jamais, nous contemplons la grandeur du Créateur et son œuvre. Nous méditons sur ces merveilles et nous rendons grâce. Il y a bien un Maître au-dessus de tous les maîtres pour nous guider et nous préserver de tout danger. Quel spectacle ravissant que cette immensité au clair de lune, sa couche de brillant cristal mouvant et à l'horizon les vagues comme les congères de neige lors des belles nuits de Noël sur le Plomb du Cantal. Ce spectacle merveilleux, que de montagnards ne craindraient pas de faire plusieurs kilomètres pour l'apercevoir. Je contemple et fait monter mes adorations vers l'auteur de ces merveilles.
Depuis que nous avons passé l'équateur, le ciel est pur, nous voyons la croix du sud avant 9 heures du soir. Au matin, on peut encore l'apercevoir mais nous ne sommes pas assez matinales. A 2 heures et demi du matin, il y a assez de jour pour écrire sans allumer l'électricité, mais nous ne nous levons que vers 5 heures.
Mercredi 24 novembre
La mer est moins houleuse et de plus en plus nos langues se sont déliées pour manifester notre gaieté avec les passagers qui nous accostent et surtout pour faire monter nos louanges vers celui à qui nous nous sommes données. Nous avons remarqué que comme au noviciat, les jours de fête nous avons des petites gâteries, fête au réfectoire comme à la chapelle, dimanche, nous avons mangé au dessert des fraises et des cerises d'Australie
Jeudi 25 novembre.
La mer est encore plus calme qu'hier et nous sommes très contentes que notre chère soeur Estelle puisse venir à table sans ressentir de malaise durant le repas. Ste Catherine est la patrone des philosophes, mes soeurs ont voulu me souhaiter cette fête, la surprise a été grande au dîner, j'ai trouvé leur voeux de bonne fête exprimées sur une gentille petite lettre placée sous ma serviette à la salle à manger. Toute la journée, elles n'ont cessé de me faire les honneurs dûs à une supérieure à pareil jour. Nous avons passé une journée délicieuse cloturée par le renouvellement de nos promesses de vivre de plus en plus unies.
Vendredi 26 novembre.
La mer est aujourd'hui calme et comme toujours nous sommes contenttes, notre joie s'accentue toujours plus quand nous arrivons à un port et c'est avec bonheur que nous saluons la ville d'Adélaîde, nous y arrivons à 10heures. On n'y fait provision de charbon, nous n'y resterons que quelques heures, nous n'allons pas à terre. Nous nous réjouissons vivement à considérer des petits voiliers et des petites barques venant apporter des provisions au bateau ou transporter des marchandises comme à Frenandle. Tous les habitants sont blancs et civilisés et ne parlent que l'anglais. Bien qu'ils n'aient pas à faire avec nous, ils sont bien polis, plus qu'en France.
Samedi 27 novembre.
Nous sommes partis d'Adélaide hier au soir vers 10h. Nous pensions avoir une bonne journée car les garçons d'hôtel avaient enlevés les violons de sur les tables pensant avoir à ne les remettre qu'à leur retour de Sydney, mais déception, nous voici encore à midi avec des ficelles devant nous car les bouteilles, les fourchettes, le verre et le pain voulaient prendre des ailes pour s'envoler. Encore un jour mauvais mais nous ne sommes pas malade à l'exception de soeur M Estelle et nous nous réjouissons à l'idée d'arriver à
Melbourne.
Dimanche 28 novembre.
Nous sommes arrivées à Melbourne à 10heures. C'est là que les Mères de Sion voyageant avec nous depuis Port-Said vont nous quitter. C'est à grand regret que nous leur disons adieu car elles ont été bonnes et dévouées pour nous. Ici nous allons à terre sans prendre d'autre bateau, nous profitons de cette belle occasion pour visiter notre bon maître. Selon les indications d'une dame, nous nous dirrigeons vers une église, comme nous hésitons au détour d'une rue, un monsieur nous confirme le chemin. Un prêtre anglais de l'ordre des Carmes apparait, il est à l'église pour un baptème. Il s'est beaucoup interessé à nous et nous a conduit à demi-heure de chez lui dans un couvent de religieuses du Bon Pasteur. Là, nous avons pu entendre une instruction sur le temps de l'Avent et bénéficier de la bénédiction du Saint Sacrement. Le prêtre nous a ensuite reconduit au bateau et nous nous engageons à revenir le lendemain pour visiter toute la maison.
Lundi 29 novembre.
Le bateau ne part que ce soir vers 8h, car il transvase du charbon toute la journée. Nous en profitons pour nous promener, prière à l'église dès l'ouverture, méditations dans la cour du couvent des carmélites, messe et communion puis nous revenons au bateau à 14h pour le repas. l'après-midi, nous allons chez les soeurs du Bon Pasteur, nous visitons les salles de classes pour 300 enfants, la salle de travail manuel avec de très beaux ouvrages de broderie, nappe d'autel, aubes, mouchoirs, cravates...la salle de repassage équipée de machines qui exécute le travail 10 fois plus vite que les meilleures ouvrières de France. Nous nous séparons vers 5 heures et nous n'oublierons jamais les bontés et les délicatesses d'une telle hospitalité dans un pays inconnu.
Mardi 30 novembre.
St André garde du St Rozaire. Nous avons quitté Melbourne, hier au soir vers 8heures et nous voilà encore sur l'eau jusqu'à demain au soir. La mer est calme, nous ne sommes pas malades et nous commençons à ramasser toutes nos petites affaires pour faire nos malles. Sur le pont, il fait très bon et le paysage de tous les côtés est magnifique. Nous voyons certaines petites îles entourées d'immenses rochers qui sont aussi élevées que le roc de Belvezet dans l'Aveyron.
Mercredi 1er décembre.
La mer est mauvaise mais qu'importe, personne n'a le temps d'avoir le mal de mer, car il faut faire ces derniers préparatifs et ranger toutes ses affaires pour arriver à Sydney. Toute la journée, nous sommes dans l'anxiété pour savoir à quelle heure nous arrivons et si on nous débarquera. Enfin à midi, nous voyons sur la carte que l'officier afflichait tous les jours, que l’arrivée est prévue à 5 heures.
Sydney.
Jeudi 2 décembre.
Vers les 3h et demi, nous sommes arrivés à la rade de Sydney où le pilote est venu pour aider le commandant dans la direction du bateau. Qui peut dépeindre l'entrée dans le port. Ce n'est pas sans raison que les passagers disaient que c'est une des beautés les plus remarquables du monde. A voir, tous ces grands bateaux, petits steamers voguant si rapidement autour des sites pittoresques, de si beaux arbres dont on ne voit pas les pareils dans les plus beaux bois de France, tout est vraiment merveilleux et grandiose. A 5 heures enfin , nous pouvons débarquer. Toutes les beautés que je viens d'essayer d'énumérer ne nous procurèrent de la joie mais beaucoup plus l'entrevue avec notre R P Procureur le Pere Chevreuil venu pour nous chercher. Longtemps déjà avant de descendre, nous avions aperçu sa figure souriante et douce qui nous faisait deviner que c'était un Mariste. Vous ne pouvez croire combien le temps d'ammarrer nous parut long, ce quart d'heure nous sembla une heure. Mais enfin, nous voici avec un père et quel bonheur. Nous faisons nos derniers adieux à L'Australien puis nous nous rendons à la maison des Pères de Sydney. De là, nous prenons encore un bateau qui dans une heure nous rend à la Villa Marie avec nos soeurs et nos pères au nombre de 9 ou 10. Quel bonheur et quel magnificat d'être arrivés au port mais ce n'est pas encore la patrie. J'espère cependant y arriver. Nous partirons mardi prochain toutes les 8 ensembles pour Fidji.
A bord de l'Atua,
le 10 décembre.
Il faut enfin que je me remette à l'oeuvre pour continuer mon journal. Que puis-je vous dire de Sydney si non que tous mes supérieurs et toutes mes soeurs nous ont fait le plus bienveillant accueil et que nous nous sommes bien remises des fatigues du voyage. Nous avons mis de l'ordre à tout notre linge et nous avons été bien privilégiés d'avoir le vendredi, samedi et dimanche, l'adoration des Quarante heures, j'en ai bien profité pour prier pour tous ceux que j'avais quitté et pour tous ceux que j'allais voir dans ma nouvelle patrie. Vous auriez été bien surpris de voir une telle foule d'hommes et de femmes s'approcher des sacrements et assister aux saints offices, je vous assure que je garderai de Sydney le meilleur souvenir. Accompagnés du Père Chevreuil, nous nous sommes rendues au bateau vers 10h du soir et nous sommes parties dans la nuit. L'Atua est un mot samoa qui signifie Dieu. Le bateau est un peu plus petit que l'Australien, mais nous y sommes très bien. Nous avons comme auparavant une cabine pour 2 et à la salle à manger, nous sommes 3 à chacune de 2 petites tables. Le matin, vers 6h30, la femme de chambre nous apporte le café au lait et 2 biscuits dans nos cabines, à 8h30,13h,18h30, nous nous rendons à la salle à manger. Nous avons un menu pour chaque table, et on nous sert ce que nous demandons, nous n'avons qu'à choisir, c'est vous dire que nous sommes, on ne peut mieux. Notre première journée à bord de l'Atuya a été la plus mauvaise de notre voyage. Les 2 soeurs de Smoa n'ont rien eu. La 2ème journée a été un peu meilleure et la 3ème, toute à fait bien. Aussi comme vous le voyez, j'en profite pour mettre mon journal à jour.
Soreto
le 21 décembre.
Rien d'extraordinaire durant notre petit voyage toujours le ciel et l'eau et une grande chaleur mais personne n'est malade. Le mardi 14, nous sommes arrivées à Lastula Là, nous avons été reçues par des soeurs et nous ne sommes guère descendues à terre. Le mercredi 15, nous sommes arrivées à Luva. Là, nous avons été reçues par des soeurs de St Joseph de Cluny et par nos bons pères qui tous nous ont fait le plus bienveillant accueil. Nous avons passé une agréable journée et avons quitté notre petit port à minuit. Nous sommes arrivées à Levuha à 5h. Nous avons trouvé le R P procureur, le P Dupon qui s'est occupé de nos bagages tandis que nous sommes allées à la messe puis chez les soeurs Maristes chez qui nous avons déjeuné et diné. A 1 h, L'Atua partait pour Samoa, il a donc fallu dire adieu à nos chères soeurs M Anastasie et M Vincent de Paul qui durant tout notre voayge n'ont fait que nous combler de soins de joie car elles n'ont jamais été malades. Dans la soirée du jeudi, nous sommes arrivées à Soreto (1h à pied de Levuha). avec M George, M Bernard, toutes 2 très bonnes pour nous. 2 soeurs vont à une station voisine (à 6h) Wairiki. Je ne sais quand part le prochain bateau pour Futuna. Quoiqu'il en soit , je suis très bien ici et tout à fait comme chez moi, je commence à être un peu habituée et de me rendre utile dans la préparation des fêtes de Noel.
Levuka
le 15 mai
Je veux être fidèle à ma promesse de vous tenir au courant de mon voyage en Océanie. Mais comme il est très difficile de s'installer pour écrire à bord, vous voudrez bien ne pas être exigeant si je suis un peu plus brève que par le passé. Depuis le 15 décembre , déjà 5 mois, je suis à la station de Soreto, petite mission à environ une lieue et demi de Levuka. J'ai vécu avec 2 soeurs qui ont plus de 20 ans de mission et qui se sont montrées très bonnes pour moi. Je les ai quittées à regret. Mais cependant, j'ai été très heureuse d'avancer vers mon pays après lequel j'espère essayer d'y faire l'oeuvre de Dieu. C'est donc dimanche, jour de la fête de la Pentecôte à 5 h30 du soir que je m'embarque sur la Providence. C'est un bateau très confortable, il peut porter environ 1000 tonnes. C'est la 1ère fois qu'un bateau si grand va à Futuna. Mais comme le bon Dieu sait vraiment tout arranger en ma faveur. La vie à bord est assez monotone car il n'y a pas les 5 soeurs pour egayer. Nous sommes 26 passagers jusqu'à Rotuma. A table, je suis avec 5 anglais qui m'entourent de politesse et de bonté. J'ai une petite cabine de 2 lits pour moi seule, je suis donc très bien, tranquille pour prier et me sens tout à fait chez moi. Comment vous dépeindre la beauté de la mer, bleuâtre à la grande chaleur de midi, de tous les côtés, d'immenses récifs qui forment une montagne de neige puis enfin les belles petites îles de Fidji avec leurs belles verdures et leur rochers escarpés. C'est vraiment merveilleux à voir. Au clair de lune, le soir, la vue n'est pas moins interessante, mais il pleut souvent vers cet heure là, je me contente de respirer un bon air frais, qui me fait bien défaut durant le jour. Ce n'est que lundi vers 10h que nous perdons de vue la terre de Fidji. Lorsque nous reverrons le sol, ce sera l'île de Rotuma, très belle et aussi plus riche. Mercredi vers 8h, nous nous arrêtons en face de Rotuma. L'île est entourée d'immenses récifs, ce qui empêche les steamers (grands bateux) d'arriver au rivage. A 5 ou 6 km de Rotuma, la Providence jette l'ancre. Au son de la cloche d'arrêt, accourent de toutes parts, de petits bateaux pour transporter les passagers et les marchandises. Je saisis l'une des premières occasions pour aller à terre et au bout d'un quart d'heure, j'arrive à Motussa, petite station où réside une des soeurs. Elle vient à ma rencontre et je passe la matinée et la soirée avec elle. Elle m'amuse beaucoup par sa gaité puis il est convenu que je passerai le reste de mon séjour là avec 2 autres soeurs à Faganta, principale mission de Rotuma. Après 1 h de voiture, j'arrive au lieu marqué. Les soeurs viennent à ma rencontre avec les enfants et beaucoup d'indigènes qui s'estiment heureux de me saluer à leur manière indigène, mais digne et respectueuse. Le lendemain, beaucoup viennent me voir et m'offrir de petits cadeaux afin de me manifester leur joie de m’avoir. Elles m'apportent des fruits : grosses oranges, bananes... mais les enfants insatisfaits demandent de passer la récréation avec nous, et ils exécutent toutes sortes de chants et danses indigènes. Ah! mes chers parents si vous voyez la variété de leurs mouvements, on croirait qu'ils sont élastiques.