TEMOIGNAGE DE RAYMOND DAGES
PRISONNIER LORS DE
(récit recueilli par Christiane Poulhès)
PERIODE DU REGIMENT 1935-1937
Etant de la classe 34, j’aurais dû faire mon service
militaire en 1934. Tous les hommes nés jusqu’en avril 1934 ont fait un an de
régiment en 1934, c’est le cas d’Emile Bors de Cantoin mort peu de temps après
la guerre, et tous ceux qui sont nés à partir du mois de mai sont partis pour
faire 2 ans de régiment à partir de 1935 et j’en faisais partie. J’étais dans
le 121ème Régiment d’Infanterie, 9ème Compagnie à Montluçon. L’hiver, nous
étions pendant 6 mois à Montluçon et les 6 mois l’été, nous étions dans des
camps de campagne en 1935, à Bourg Lastic dans l’Allier et en 1936 à
Pendant l’hiver, j’étais l’ordonnance d’un capitaine, je
devais aller chez lui pour faire l’entretien et notamment brosser le matelas du
lit tous les jours...
Dans les camps d’été, je suis aussi chargé de l’entretien
du camp, nous sommes un groupe de 20 soldats environ. Ces camps d’été
accueillent des réservistes, nous devons tout préparer avant leur arrivée,
leurs chambres, les logements des officiers qui les encadrent et, au moment de
leur arrivée, le vestiaire. Je suis l’ordonnance de 4 officiers, et donc à leur
service pour l’entretien des souliers, des bottes. Nous avons aussi des petits
emplois : par exemple, quand il fait de gros orages, il faut déboucher les
fossés pour faciliter l’écoulement des eaux de pluie ; les journées sont
occupées à faire des marches, des exercices, mais il y a aussi des petits
moments de liberté et parfois avec quelques autres soldats, nous partons aider
aux travaux des champs dans une ferme, en particulier pour faner ; cela se
passe dans une très bonne ambiance d’autant plus qu’il y a une demoiselle dans
cette ferme.
Je me souviens aussi de cette anecdote : un jour, un
officier me rencontre en train d’entretenir le camp, il ne sait pas que c’est
mon travail et il me dit que je n’ai pas à me trouver là à cette heure, que ce
n’est pas le moment d’entretenir le camp. Il pense que j’ai évité les
exercices, aussi il me donne 8 jours de prison. Le lendemain, je suis convoqué
au bureau du commandant avec l’autre officier, le commandant confirme que
j’étais bien à mon poste la veille, m’enlève les 8 jours de prison et les donne
à l’officier qui m’avait injustement puni.
Le dimanche, nous sommes libres et j’en profite pour
aller à Paris, chez ma cousine Gilberte ; il est possible de prendre le
train dès le samedi soir. Parfois je vais chez ma soeur religieuse infirmière
qui est à Maintenon, puis à Aubusson. Je me souviens qu’un jour d’été, je suis
arrivé au milieu de la nuit à Aubusson, la porte de
A la fin des 2 ans de régiment, je suis rentré au pays.
Comme beaucoup de jeunes, je me loue dans les fermes pendant l’été pour les
foins et les moissons, je vais à Chaneyret dans la ferme d’Emile Biron.
L’hiver, je pars à Paris pour être garçon charbonnier. Cela consiste à livrer
les sacs de charbon dans les caves des immeubles, mais aussi jusqu’aux
appartements ; il faut prendre l’escalier de service avant 10 heures du
matin car la concierge, que l’on surnomme “la pipelette”, a nettoyé et ciré les
escaliers et nous crie derrière si on ose monter malgré tout ; cela dépend
bien sûr des immeubles et du caractère des concierges.
GUERRE DE 1939-1945
Je suis mobilisé en septembre 1939 à Narbonne. Avec
d’autres hommes du canton, nous partons par le car, courrier régulier, jusqu’à
Aurillac, pour prendre le train. Dans l’Hérault ou l’Aude, le train traverse
des vignobles, peu de temps avant les vendanges. Les pieds de vigne sont
chargés de raisins. Nous arrivons à Narbonne. Nous restons dans une caserne
juste 2 à 3 jours, le temps de recevoir les habits, les chaussures, le sac avec
le matériel, les bidons, la gamelle (boite métallique rectangulaire avec une
poignée pliante) le fusil mais pas de munition. Nous logeons dans une cave sur
un plancher au-dessus des barriques. Ensuite, toute
Tout l’automne, de septembre à novembre, nous avons
traversé à pied tout le midi de
Après plusieurs jours de marche, viennent 1 ou 2 jours de
repos, c’est la halte ; puis nous reprenons la marche et ainsi de suite
jusqu’à Montélimar et Gap. Lors de l’installation de chaque camp, nous creusons une tranchée qui sert de
latrines pour tous les soldats ; au départ, la tranchée est bien sûr
rebouchée. Je ne connais pas les villes que nous avons approchées car nous
passons loin des grands centres urbains, nous n’avons pas non plus de nouvelles
de la guerre proprement dite, nous marchons...mais ce n’est pas la marche des
randonnées pédestres si agréables des loisirs d’aujourd’hui, nous marchons
ensemble sans trop savoir vers où... isolés de la population des pays. Nous
savons que c’est la guerre et que d’un jour à l’autre, il faudra aller au
combat contre l’armée allemande. Cela sera peut-être notre fin...une fois, la
halte a duré 8 jours ; nous sommes dans un hangar de paille, il y a même
une moissonneuse batteuse.
Arrivés près de Gap, nous plantons le camp à
Nous sommes restés les mois d’hiver à Benken, petit
village près de Bâle, délaissé par tous ses habitants. Avec un autre soldat,
nous nous sommes installés au 2ème étage d’une maison, avec vue sur la place
principale. Les habitants ont stocké beaucoup de bois pour l’hiver, ce bois est
prêt à utiliser et pendant notre camp nous en avons utilisé une grande partie
dans les cheminées ou les poêles pour nous chauffer dans les maisons. Pour les
repas, la roulante nous assure une nourriture de base. Nous sommes loin du
front et jusque-là, nous ne craignons pas trop pour notre vie. On peut écrire à
nos familles et recevoir leurs lettres, le courrier n’est pas particulièrement
censuré. J’ai eu ainsi des lettres de mes parents qui me donnent des nouvelles
de mon frère Robert, qui de son côté a pu écrire à Malentraysse. C’est la
première fois que j’en ai depuis la mobilisation. A Benken, il
neige souvent, et les conditions de séjour sont difficiles, rien à voir
avec les agréables vacances au ski d’aujourd’hui. Nous sommes toujours aussi
peu informés sur les événements de la guerre, nous sommes entre soldats, nous
ne savons pas de quoi sera fait le lendemain...une fois, pourtant, mes
camarades s’amusent avec une luge, j’ai voulu
monter sur la luge et au bas de
la pente, j’ai atterri dans “un bartas” de buissons et de ronces...
J’ai appris qu’Eugène Domergue de Cantoin est dans une
autre compagnie à 2 heures de marche de la nôtre ; j’ai essayé de le
rencontrer pendant les moments de liberté, mais je n’ai pas réussi. Dans mon
régiment, il y a Blanchet de
Je me souviens d’une autre anecdote : pendant ces
moments libres, avec 3 ou 4 de mes camarades dont Jean Carbonnel de Cissac et
Volpelier de Recoules, le frère de l’abbé, nous sommes allés dans un petit
bistrot, Carbonnel a bu un peu trop et il faut le soutenir sur la route pour
rentrer se coucher.
Puis l’ordre est arrivé de partir, nous nous retrouvons
sur les petites routes et chemins encore des centaines de kilomètres à marcher
toujours à pied, des jours et des jours, par tous les temps: la pluie glacée,
le froid, le brouillard, la neige de la fin de l’hiver et du printemps, à
travers
Nous passons près de Nancy...
La roulante nous rejoint pour l’éternelle soupe. Parfois,
je pense aux repas à la maison, la bonne charcuterie, le pain, cela semble si
loin, c’était une autre vie...
Nous faisons une halte de quelques jours dans une caserne
à Bitche, sur la ligne Maginot, où nous profitons d’un confort de base qui nous
avait fait défaut pendant ces longues semaines de marche. Le Ministre de
A Forbach, nous devons monter au clocher pour guetter les
allemands, nous apercevons les allemands lancer des grenades qui éclataient en
l’air. Certains soldats français sont blessés et d’autres tués...
Nous arrivons dans les Ardennes, et faisons étape
quelques jours dans un village toujours abandonné des habitants, près de
Sedan ; les animaux aussi sont abandonnés dans les prés, parfois les
soldats vont les traire pour avoir un peu de lait. Mais nous approchons des
zones de combat et nous nous disons que ce sera peut-être notre fin
Nous subissons les tirs d’obus des canons 75 allemands
toute une après-midi. Cela se passe dans une plaine qui comprend un petit bois
à une extrémité. Les allemands sont dans le petit bois et nous tirent dessus,
une balle a même touché mon sac. Nous nous terrons pour nous protéger. Un de
mes camarades-soldat a voulu relever la tête pour donner un coup d’oeil et a
été mortellement touché, d’autres soldats aussi seront tués, nous pensons que
nous n’allons pas nous en sortir. Quelle horreur! Quel carnage! Notre artillerie tire par-dessus, il y a des
vaches dans cette plaine qui meuglent et courent toutes affolées. Elles sont
abattues les unes après les autres. Ensuite nous vient l’ordre de nous replier,
nous passons une ligne de chemin de fer qui va sauter quelques instants après.
Eugène Domergue est dans l’Artillerie du 15ème Régiment
de la même Division et subit ces attaques, il y a eu beaucoup de blessés, comme
Catays de Promilhac, et de morts.
Ensuite, nous devons partir vers
Les allemands s’y trouvent en force dans le pays, le commandant
a le choix de se battre ou se rendre, c’est le 11 juin 1940, il estime qu’il y
a trop peu de chance de s’en sortir par les combats, il ne veut pas sacrifier
tout son régiment de soldats et préfère se rendre. Il ne peut pas deviner
l’avenir... le 15 juin, 3 ou 4 jours plus tard, c’était la débâcle, Pétain
signe la reddition avec l’Allemagne, c’est
Tous les soldats du Régiment sont donc regroupés dans une
prairie, après avoir déposé le fusil. Quelques jours après, nous avons même dû
nous déshabiller pour être fouillés à corps.
Le Régiment se compose de trois compagnies, deux de
combat et une avec moins de soldats pour l’intendance et la logistique.
Plusieurs régiments sont réunis et faits prisonniers en même temps. Cela fait
sans doute plus de mille soldats. Nous devons écrire un mot à nos familles pour
faire savoir que nous sommes prisonniers. Le courrier est contrôlé par les
allemands, les messages sont donc les plus courts possibles et neutres.
Nous sommes ensuite partis, encadrés par des sentinelles
à droite et à gauche, nous sommes prisonniers de guerre, les conditions de
marche sont à ce moment plus difficiles, il n’y a très peu de nourriture, nous
ressentons la faim, la soif, la fatigue...parfois
Nous avons encore beaucoup, beaucoup marché, toujours à
pied : que de kilomètres à pied en 10 mois...nous ne cherchons pas à nous
échapper même si quelquefois il y a quelques petites occasions, nous sommes
très peu informés de ce qui se passe
tout autour, mais l’idée circule dans notre régiment que nous sommes
prisonniers pour très peu de temps, peut-être une ou deux semaines seulement,
puisqu’il y a eu des accords entre l’Allemagne et
Notre situation de prisonnier se prolongera très très
longtemps, des périodes encore plus difficiles sont à venir mais nous ne le
savons pas bien sûr à ce moment.
Nous marchons des jours et des jours, revenons vers
Paris, Compiègne, continuons vers l’est de
Près de la grande digue, nous sommes embarqués sur une
péniche, tous très serrés, debout les uns contre les autres dans la cale qui
n’a pas de fond plat. Nous sommes restés ainsi pendant tout le voyage, trois
jours et trois nuits, cela a été bien pénible. Le jour, nous pouvons aller
faire un tour sur le pont. En guise de cabinet, deux planches sont fixées sur
le rebord au-dessus de la mer ; il faut s’installer dessus pour les besoins
naturels : c’est très périlleux, on évite le plus possible cette séance.
Nous sommes montés dans un train et ainsi traversons une
grande partie du pays du Nord au Sud, Hambourg, Berlin. Essen marque la fin de
ce voyage. Là, nous sommes conduits dans un camp où nous restons plusieurs
semaines. Les conditions de vie y sont particulièrement difficiles, mal logés,
mal nourris. Lorsque la soupe arrive, les premiers en ont un peu, les derniers
rien du tout... Nous devons aller à la mine, pour extraire du charbon ;
parfois à l’entrée, il y a un prisonnier pendu par les allemands... peut-être
pour avoir été récalcitrant, mais peut-être pour rien. Un jour, les officiers
allemands recherchent des paysans, une vingtaine d’entre nous, répondons à cet
appel, nous espérons ainsi améliorer un peu notre condition et au moins manger
enfin à notre faim. Un car nous conduira à Atingen, petite ville, puis à Bredensheim, à la ferme de Hansfreed. Les
patrons de cette ferme s’occupent aussi d’un hôtel, Je suis affecté à la ferme,
tandis que mon frère est affecté au potager de l’hôtel.
Le patron est assez âgé pour ne pas être mobilisé, mais
le couple a un bébé de quelques mois, une fillette. L’accueil nous a semblé
assez normal dans les conditions particulières liés au contexte de la guerre,
les propriétaires sont contents d’avoir du monde pour faire les travaux de la ferme
puisque depuis la mobilisation, dans ces campagnes, il manque de bras pour les
travaux habituels, il y a la difficulté de la langue, mais après quelques
semaines, nous arrivons à communiquer, nous apprenons quelques bribes de la
langue allemande.
Nous passons toujours la nuit au camp. Tous les matins,
la sentinelle nous réveille : “Tout le monde à poil !” et nous allons nous
laver au lavabo. Lorsque nous sommes prêts, nous partons du camp, accompagnés
par une sentinelle allemande jusqu’à la ferme, le soir la sentinelle passe nous
chercher et nous ramène au camp pour la nuit, nous logeons dans un bâtiment
modeste, des chambres sont installées et nous dormons dans des lits superposés,
nous sommes environ 20 français prisonniers. Les sentinelles sont plus ou moins
aimables avec nous, une nuit, la sentinelle nous réveille et regarde nos pieds
dans le lit du bout du fusil, trouve mes pieds sales et m’envoie au lavabo.
Tous les repas sont pris à la ferme, nous sommes installés à une table séparée
de celle des patrons. Nous mangeons les mêmes plats. Les patrons ont des bons
de pain pour les prisonniers qui travaillent chez eux. Quelques jours après,
des prisonniers russes, un homme et une jeune femme sont aussi venus travailler
à la ferme, ils logent sur place. Quelques temps après, la jeune femme est
remplacée par une adolescente de même origine. Du côté français seul les
soldats sont faits prisonniers, du côté russe ce sont hommes, femmes et
adolescents qui seront travailleurs obligatoires en Allemagne.
Cette ferme comprend une dizaine de vaches dont je dois
m’occuper, 3 ou 4 juments pour les travaux, les labours, la fenaison, la
moisson, et des cochons. La femme russe s’occupe des cochons, ils sont nourris
de pommes de terre, ou de grain concassé. Mon travail quotidien consiste à
traire les vaches 3 fois par jour, à les nourrir, à faucher l’herbe pour ces
vaches, à moudre le grain et à participer aux travaux des champs. Les vaches ne
sortent pratiquement pas de l’étable. Je
vais faucher un peu d’herbe tous les matins que je charge dans un
tombereau attelé à la jument. L’hiver, je les nourris de betteraves produites
sur la ferme et de foin. Le patron ne vérifie pas tous les jours notre travail
et nous fait confiance. Le premier hiver, je donne du foin aux vaches comme
j’en ai l’habitude en Aveyron, mais rapidement, le foin est épuisé, j’en parle
à mon patron qui constate mon erreur, je donne trop de foin et pas assez de
betteraves. Lorsque le foin manque, je donne de la paille et des betteraves
jusqu’à ce qu’il y ait assez d’herbe à faucher dans les prés. Les moissons se
passent l’été, mais toutes les gerbes sont engrangées sans dépiquer, le
dépiquage a lieu l’hiver. Le grain est broyé au moulin selon les besoins pour
les cochons, les juments ou les vaches.
La jument a un très mauvais caractère, il faut tenir le
mord très serré, et lui retenir la tête au collier, sinon elle s’emballe très
vite, elle m’occasionnera des ennuis à 2 reprises. Elle m’échappe un jour,
attelée au tombereau, elle traverse un champ de blé en fleurs à toute vitesse,
je ne vois que de la fumée. Arrivée ensuite dans le chemin, elle tombe,
renverse le tombereau. Mon patron informé de l’accident ira la relever avec des
voisins. Un autre jour, alors que je lui donne à manger, elle se retourne et se
met à ruer ; tombé par terre, je rampe pour m’éloigner d’elle,
j’appelle mon frère, qui par chance est
dans les environs. Il m’ouvre la porte et m’aide à sortir de cette situation
périlleuse. Cette histoire aurait bien pu me coûter la vie. Le prisonnier
russe, nommé Valentin, se chargera
ensuite de guider cette jument pour aller faucher et récolter l’herbe. Il la
maitrise mieux que moi.
La culture des betteraves est un travail nouveau pour
moi, après avoir labouré et préparé la terre, on repique les plans de
betteraves, ensuite il faut entretenir la culture, sarcler régulièrement avec
la jument attelée à une sarcleuse, puis vient la récolte. Les betteraves
arrachées sont toutes mises en tas sur
Les enfants des environs viennent souvent me voir, ils
habitent des maisons à proximité de la
ferme et la nourriture est rare pour les familles allemandes comme les familles
françaises ; alors pendant la traite, je prélève discrètement une ou deux
bouteilles de lait, que je cache dans la paille qu’ils viennent chercher
ensuite. Parfois, je leur donne aussi quelques oeufs ou un peu de grain. Mes
patrons ne sont bien sûr pas au courant. Cela me vaut de bonnes relations avec
ces familles du voisinage qui me rendent quelques petits services, raccommodage
des vêtements par exemple. Les premiers mois passés, nous sommes bien intégrés
dans le quartier. Il nous arrive de discuter avec l’institutrice qui parle un
peu français, elle a une classe de très jeunes enfants. Dans une maison
voisine, un allemand retraité a fait des études en France et n’approuvait pas
le régime d’Hitler ; francophone, il parlait avec les prisonniers français
et a facilité l’évasion de certains en leur obtenant des papiers. Cela a été
possible pour Alazard, parent de la famille Sanet de
La fillette des patrons grandit, dès qu’elle sait
marcher, elle est toujours avec moi, et me suit souvent dans mon travail, avec
les bêtes et cela jusqu’à 5 ans. A cette époque, une grande épidémie est
arrivée qui touche cruellement beaucoup de jeunes enfants de la région,
beaucoup de fillettes mourront, comme la fillette des patrons : les
médicaments ne sont pas aussi actifs qu’aujourd’hui, les antibiotiques sont
encore peu utilisés. Les patrons sont bien tristes comme nous tous, le patron
me donne une photo de la fillette que j’ai toujours aujourd’hui.
Cette vie a duré ainsi 5 ans, nous allons à la ferme tous
les jours, seul le dimanche après-midi nous ne travaillons pas et nous rentrons
au camp. Nous nous organisons entre nous pour le repas du soir. Les patrons
arrêtent l’activité de l’hôtel vers
1942, car la clientèle se fait de plus en plus rare, les besoins en légumes
sont moindre, mon frère René est alors affecté dans une autre ferme. La dernière année, nous logerons à la ferme.
Mon frère Robert est aussi fait prisonnier en juin 1940, le dernier jour avant
la reddition. Il changera plusieurs fois d’affectation, travaille en usine, et
dans des fermes du côté de Leipzig à 500km d’Essen. Nous ne nous sommes jamais
rencontrés.
Au camp, nous recevons des lettres de nos familles et des
colis. Tous les colis sont ouverts par les sentinelles, le courrier est lu. Il
y a souvent des friandises dans les colis, qu’ils gardent pour eux. Si le
courrier ne leur convient pas, il leur arrive de renvoyer tout le colis en
France, sans rien donner au destinataire. Je suis chargé de ramener ces colis à
la gare pour le retour. Bien souvent, je me suis arrangé pour ne pas renvoyer
le colis et discrètement le faire parvenir à son destinataire.
A la fin de l’année 1944 et début 1945, nous entendons
les bombardements américains qui repoussent les allemands. Nous sommes libérés
fin avril 1945 par les américains. Le patron craint pour lui et nous recommande
de dire qu’il nous a bien traité...Les travaileurs et prisonniers russes se
réjouisent d’être libérés mais ne veulent pas rentrer dans leur pays, où les
conditions de vie et le régime politique sont durs. Beaucoup seront en
conséquence abattus par les allemands.
Nous partons donc tous en camion jusqu’en Belgique. Le
camion passe le Rhin sur un pont flottant construit avec des péniches. On
nous laisse à Liège, puis nous prenons
le train pour Lille, et un autre train pour Paris. Là, je me souviens du numéro
de téléphone de ma cousine Gilberte, je l’appelle et on convient d’un
rendez-vous chez elle puisque nous avons du temps à attendre avant le train
pour Aurillac. J’ai bien sûr grand plaisir à revoir
Mon frère René rencontre une jeune fille allemande dans
la ferme où il travaille. Il se mariera peu de temps après, il ne rentre pas au
pays à sa libération et vivra toute le reste de sa vie en Allemagne, il sera
agriculteur. Nous échangerons régulièrement des nouvelles par courrier et nous
rendrons visite mutuellement.
Il faut tourner la page, reprendre la vie, mais cette
période ne s’oublie pas et marque un homme pour la vie, j’ai 87 ans aujourd’hui
et ma mémoire est intacte pour tout ce qu’ont été ces 6 années de notre vie.
Après mon retour, j’ai été employé au barrage de Sarrans
comme manoeuvre pour construire des tunnels ou entretenir les ouvrages déjà
construits. Un jour, j’ai circulé dans un tunnel de Sarrans à l’usine du
Brézou. Nous devions nettoyer ensuite un puits de 100m, je suis descendu par
l’échelle, les échelons sont fixés à la paroi : arrivé au fond, on
m’annonce qu’ils vont remettre en eau, je me suis dépêché de remonter !
J’ai ainsi appris le métier de maçon puis ai été employé chez le maçon Traverse
de Ste Geneviève. J’ai donc participé à la construction de plusieurs maisons du
pays, maison Alexandre de Malentraysse, des maisons à Graissac, des caveaux au
cimetière.
Après cette guerre, la vie reprend avec les quelques distractions,
c’est le bal des prisonniers, il y en a à